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« Systématiser le dépôt de plainte crée des effets néfastes pour les victimes »

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Les 270 intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie interviennent, sur une année, auprès de près de 100 000 personnes (femmes, hommes, enfants) impactées par de la violence au sein des couples. L’ANISCG formule une série de propositions à l’occasion du Grenelle sur les violences conjugales. Le point avec Laurent Puech, chargé de mission.
Parmi les propositions du Premier ministre à l’ouverture du Grenelle des violences conjugales, le 3 septembre, figure celle d’un audit des 400 commissariats et gendarmeries. Qu’en est-il de la qualité de l’accueil des femmes victimes aujourd’hui ?

Certains accueils peuvent se passer de façon absolument inadaptée mais il ne faut pas oublier les centaines de milliers d’accueils dont on n’entend pas parler et qui se passent de façon satisfaisante, voire de manière bienveillante. Ces audits peuvent apporter des éléments complémentaires à ce que les travailleurs sociaux peuvent noter dans les commissariats et les gendarmeries, eux qui y sont tout le temps, toute l’année. Les tensions au sein des couples, sans qu’il n’y ait forcément de violences conjugales, sont une partie essentielle des violences intrafamiliales et une majorité du travail des intervenants sociaux en commissariat ou gendarmerie.

Dans ses propositions, l’ANISCG fait part d’une incitation au dépôt de plaintes des femmes victimes alors que nombre d’associations dénoncent une incitation des femmes victimes au dépôt de mains courantes.

Les deux observations sont complémentaires. Les intervenants sociaux voient tous les aspects de l’accueil en commissariat ou en gendarmerie. C’est la raison pour laquelle nous éclairons les choses de manière différente sans que cela soit en contradiction avec la position des associations d’aide aux victimes qui sont souvent à l’extérieur des commissariats et des gendarmeries. Dans certaines situations, il y a une incitation à déposer une simple main courante. Mais depuis fin 2013, un protocole-cadre a été adopté et cela est donc de moins en moins vrai. La prise de plaintes est plus importante et le nombre de mains courantes est en baisse. Mais les femmes qui ne veulent pas déposer plainte existent, elles sont nombreuses et se retrouvent parfois devant une injonction à le faire. Pour avoir un hébergement d’urgence, certaines institutions demandent à la femme d’avoir déposé plainte avant. Or, une main courante prise avec tous les éléments détaillés est aussi utile qu’une plainte. En matière de violences conjugales, le procureur peut, à son initiative, ouvrir une enquête sur une simple main courante. Systématiser le dépôt de plainte crée de nouveaux problèmes, a des effets paradoxaux et néfastes pour les victimes. L’ANISCG soutient l’idée qu’il y ait de la souplesse afin de ne pas ajouter de la contrainte à des femmes, qui vivent déjà dans le climat de violences conjugales, la contrainte de ce qu’elles doivent faire ou ne pas faire.

Qu’attendez-vous du Grenelle sur les violences conjugales ? Plus de reconnaissance ?

Non, la reconnaissance est quasi unanime du rôle des 270 intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie. Le Grenelle est une opportunité de passer un cap dans le déploiement et la pérennisation du dispositif. Les territoires sont diversement couverts. Sur certains territoires, il y a un intervenant social pour tout le département quand d’autres comptent 3 ou 4 intervenants sociaux à population égale. Actuellement, 87 départements sont couverts mais, par exemple, il n’y a qu’un poste d’intervenant social en Haute-Garonne, et pas de poste à Toulouse. Il y a des manques évidents. Nous soulignons donc la priorité de créer des emplois dans certaines zones de façon à avoir un dispositif plus équilibré. Il faut que l’on puisse avoir au moins un poste sur chaque département.

Avez-vous chiffré le financement nécessaire pour créer ces postes ?

Si on base le calcul sur la part du salaire, les charges, les frais de formation et de déplacement, pour 50 postes à créer en priorité, cela représente une enveloppe de 2,5 millions d’euros à raison donc de 50 000 € par poste. L’objectif n’est pas que l’Etat soit le seul payeur car il s’agit d’une action sociale qui relève des conseils départementaux. Les intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie ne travaillent pas que sur les violences conjugales, ils gèrent aussi les questions des personnes âgées en difficultés sociales ou en isolement social et sur ce versant-là ce sont les communes qui financent. Tout l’enjeu est donc de parvenir à des montages de cofinancement entre l’Etat et les collectivités territoriales. Il faut donc négocier à chaque fois un accord en local et cela suppose de trouver l’accord entre les différentes parties : Qui met quoi ? Sur combien de temps ? Quelle est la pérennité du financement ?

Vous souhaitez le renforcement du dispositif ISCG pour notamment pouvoir travailler avec les auteurs de violences conjugales. Quel est votre rôle auprès d’eux ?

Les intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie sont les seuls acteurs qui rencontrent potentiellement toutes les parties y compris les enfants. C’est un aspect du dispositif. On peut travailler avec des femmes victimes mais également des hommes victimes de violences conjugales. Pour eux, le fait de pouvoir être entendus en tant que victimes dans un commissariat ou une gendarmerie n’est pas si simple. Ce phénomène est encore plus sous-déclaré que les situations de violences faites aux femmes. Il s’agit d’une petite problématique en quantité mais d’une grande problématique dans l’accueil des victimes.

Au-delà de cela, la personne mise à cause a parfois des difficultés sociales qui renforcent le phénomène de violence. Prenons le cas d’un couple en voie de séparation mais dont aucun des deux ne trouvent une possibilité de logement et sont contraints de vivre sous le même toit. On a tous les ingrédients pour que les tensions empirent au fur et à mesure que la cohabitation dure. Quand il y a une intervention de la police ou de la gendarmerie pour des conflits dans un couple, les intervenants sociaux peuvent se mettre à la disposition de toutes les parties si cela permet de faire évoluer positivement la situation. Travailler à ce niveau de tensions permet de prévenir le risque d’escalade dans la violence. Nous intervenons en amont, en préventif, sur des situations qui ne vont pas forcément évoluer vers des passages à l’acte en termes de violences mais qui peuvent générer de la souffrance pour les personnes et les enfants présents. C’est tout l’intérêt de pouvoir travailler avec toutes les parties.

Vous qualifiez l’ISCG de « facilitateur » dans l’accompagnement à domicile de ces femmes. Que cela signifie-il concrètement ?

Les policiers et les gendarmes gèrent dans l’immédiateté plusieurs choses à la fois. L’intervenant social va permettre de savoir à quel moment on peut mettre en place cet accompagnement à domicile. Il faut en permanence un « diplomate intérieur » qui va négocier, qui puisse évaluer la priorité, la nécessité de l’accompagnement à domicile.

Faut-il renforcer la formation des forces de l’ordre sur ces questions ?

Il faut certes accentuer les moyens de formation car il y a un niveau qui peut être largement amélioré mais ne pas avoir l’illusion qu’en réalisant des journées de formation pour tout le monde on aura réglé la question. La formation est importante mais il faut aussi un travail régulier sur les questions de violences conjugales. L’intervenant social permet de sensibiliser, il effectue un travail de formation informelle. C’est plus efficace que des journées de formation annuelles.

Les cultures professionnelle entre forces de l’ordre et travailleurs sociaux sont très différentes. Comment se passe votre travail ?

L’intervenant social est un OVNI, car il est à la fois dedans et en dehors. Généralement, cela se passe extrêmement bien car chacun connait les limites de l’autre. Les intervenants sociaux sont là pour être au service du public et pas au service des policiers et gendarmes. Les policiers sont soulagés que des travailleurs sociaux se chargent de l’accompagnent des victimes de violences conjugales. Ils le faisaient mais pas forcément bien et pas forcément toujours. Ils laissent donc le champ d’action de l’intervenant social de façon claire sans le confondre avec le leur. Sur les deux dernières années, il y a seulement trois lieux où il y a eu des tensions et des désaccords sur le rôle que devait avoir l’intervenant social. Cela représente moins de 1 % de difficultés.

La priorité de l’ANISCG est-elle aujourd’hui de porter ses propositions durant le Grenelle ?

Oui, d’autant plus que l’ANISCG participe au groupe de travail sur l’accueil en commissariat et gendarmerie et à celui sur l’outre-mer. Notre autre priorité est la journée de lancement de l’Observatoire national du dispositif d’intervention sociale en commissariat et gendarmerie qui aura lieu le 8 novembre. Cet observatoire aura vocation à produire de l’analyse plus précise sur l’intervention sociale, sur ses besoins, ses pratiques, ses difficultés. Plus le dispositif se déploie, plus il est nécessaire qu’il soit cohérent sur l’ensemble du territoire.

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